Nouvelle fantaisiste, contant le récit d'un golem de pierre ayant subit une terrible malédiction.

Samidas
1095238ème jour. Pour une fois mon réveil est légèrement adouci par la vue d’une petite créature poilue. Je la reconnais du premier coup d’oeil, il s’agit d’un Jagida, une bête si rare dans le Royaume d’Athanasia qu’il fait l’objet de nombreux braconnages de la part des elfes, considéré comme un met délicat et délicieusement savoureux, dont la viande se vend à prix de diamants chez les nobles familles. Je me lamente parfois sur la misère de ce monde… On tue des bestioles mignonnes et innocentes dans l’unique but de les dévorer comme des barbares. M’enfin là n’est pas la question…
Tout ce que je vois à l’instant c’est ce Jagida fixant mon visage de pierre avec ce léger rictus amusé et jovial.

Il me semble qu’il ne soit pas effrayé par ma présence. Je dirais plutôt qu’il est “étonné” de voir un individu de mon genre, allongé au centre de ce bosquet, imposant et un temps soit peu atypique physiquement. 1095238ème jour à me lever, lever ce lourd et robuste corps qui m’est échu. Comme convenu, les douleurs et les maux de têtes sont au rendez-vous. Une fois debout, je m’approche doucement de la créature, qui continue de me fixer, mais cette fois avec une mine surprise. Une fois à sa portée, je laisse échapper de mes lèvres rocheuses un simple : <<Salut toi…>> porté par une voix grave et enrouée comme à mon habitude. Entendre un tel timbre de voix fit sursauter l’adorable bestiole qui se mit à s’enfuir à l’aide de ses ailes, après avoir poussé un minuscule cri apeuré.
Ceci est mon quotidien… Faire peur aux gens, que ce soit par mon apparence ou par mes mots. Les rares personnes qui daignent m’approcher sont parfois relativement hostiles envers moi. Voilà … Comme tous les matins depuis trois millénaires, précisément 1095238 jours, je m’assois sur un sol chaque fois différent, et je soupire longuement, repensant à ce que je pourrais bien faire de la journée venant tout juste de démarrer.
Et… comme chaque matin depuis trois millénaires… je laisse échapper des larmes inexistantes. Mon organisme actuel ne me permet pas de pleurer, mais mes origines humaines me permettent néanmoins de ressentir la totalité des émotions de ce monde… la tristesse en fait donc parti. Je pleure, sans pleurer. Les larmes n’apparaissent que dans ma pensée. Tout ce qu’il reste sont mes lamentations rauques et mon bras droit inébranlable recouvrant mes yeux de gravier.
Je ne peux m'empêcher de me repentir quotidiennement… C’est plus fort que moi. Et il se trouve que mes sanglots actuels venaient probablement d’attirer l’attention du fin Jagida qui s’était caché non-loin derrière les branches d’un gigantesque arbre forestier.
Ce petiot viendra battre de ses ailes rabougries jusqu’à moi, avant de se poser sur mon épaule, me regardant avec une certaine forme de compassion.
Après avoir cessé mes pleurs, je commence moi aussi à fixer l’animal, qui viendra peu à peu me rendre mon sourire de colosse de pierre. Je sentais que par ses yeux ils tentaient de me dire : <<Eh ! Pourquoi pleures-tu monsieur le géant ?>>, ce à quoi je répondis de ma même voix caverneuse qui ne l’effrayait plus : <<Oh...longue histoire tu sais…>>
Le gentillet Jagida ira atterrir cette fois sur la terre ferme, juste à mes pieds. Il se couchera sur le ventre dans l’herbe, et me dévisagea, semblant me dire cette fois :
<<J’adore les z’histoires ! Raconte-la moi !>>
Je me souviens absolument de tout. Tout ce qui m’est arrivé depuis ce funeste jour. Il me sera donc facile de tout lui dire, et dans les moindres détails. J’apprécie conter mes péripéties aux gens daignant m’écouter attentivement, et ce n’est pas non plus comme si j’avais mieux à faire de ma journée. Je me lance donc, et pour ne pas endormir la bête avec mon histoire faramineuse je décide de lui faire un simple résumé, loin d’être court pour un résumé cependant haha :
<< Mon nom à moi, c’est Samidas. Du moins, c’est le nouveau nom que je porte. Avant d’être ce géant de granit que tu as devant toi, et bien j’étais un simple humain. Enfin… “simple”, c’est un bien petit mot pour me décrire. Il y a plus de trois millénaires, alors que je n’étais qu’un mortel, j’étais l’ancien Roi d’Oslyria, en colocation (si je puis dire) avec l’héritier de la race des Dragons. Si tu tiens à connaître mon réel nom complet, le voici, mais je suppose que tu seras incapable de le retenir pour être honnête ! Jadis donc, j’étais le grand “Wilford Lengrim Grimfort Adun Brascrow Lylas Redald Sylrich Pherriss de Fontazur”. C’est long n’est-ce pas ? Ne t’en fais pas, à l’époque un simple “Roi Wilford” suffisait pour parler de moi ! Mais à présent je me contente de “Samidas”, ou encore “Samidas le Damné”, bien que je préfère l’humble surnom de “Samidas le Sage de Pierre”.
Dans ma vie de Roi Humain, j’étais plutĂ´t respectĂ© par mes sujets. J’étais puissant, intelligent, robuste, adroit, souriant, comique et j’en passe. Le seul trait de caractère qui me portait dĂ©faut Ă©tait mon arrogance sans limites et si grande que mes ennemis me surnommaient “Wilford le MĂ©prisant” en raison de ma fiertĂ© inconcevable pour un Roi d’Arkadia. J’étais adulĂ© par mon peuple pour mes prouesses en stratĂ©gie, et dĂ©testĂ© par mes adversaires pour les mĂŞmes raisons. J’ai eu une femme mais aucun hĂ©ritier malheureusement, je ne connaĂ®trais donc jamais la satisfaction qu’une figure paternelle ressent lorsque qu’il porte son chĂ©rubin dans ses bras. Ă€ prĂ©sent, tu dois te demander comment j’en suis arrivĂ© lĂ ? Comment je suis passĂ© de Roi adorĂ© par son peuple, Ă colosse rocheux, reniĂ© par ses semblables ? C’est très simple. Cette arrogance dont je faisais preuve, et bien sache qu’elle a fini par avoir raison de moi. Le Dieu Darath, Dieu des moissons, et bien il se trouve que je me suis lĂ©gèrement confrontĂ© Ă lui. En effet, durant une de mes annĂ©es de règne, ma dernière annĂ©e pour le coup, je l’ai fortement critiquĂ©. Les sols d’Oslyria n’étaient plus garants de rĂ©coltes abondantes, alors, via mon arrogance bien connue, je me suis mis Ă dĂ©clarer face Ă tout mon Royaume que ce fameux Dieu Darath n’était qu’un incapable, idiot, stupide, et incompĂ©tent. Ă€ la fin du premier mois de famine, j’ai mĂŞme utiliser les propos “Dieu inutile”. Mes sujets Ă©taient d’accord avec mes paroles, bien qu’ils craignaient des reprĂ©sailles de la part de l’entitĂ© divine.Â
Et ce qui devait arriver arriva. Après de multiples insultes à l’encontre de ce démiurge, sa venue parmis les mortels devint impérative, afin de punir les insolents de ce bas monde ! Le premier châtié fut bien évidemment moi. Pour toutes les offenses que je lui avais faites, il me transforma en cette “chose” faite de pierre et de gravier. J’étais devenu immortel, indestructible, je le suis toujours aujourd’hui d’ailleurs. À la suite de cette métamorphose, Darath avait ajouté :
<<Misérable mortel. Futile individu. Sois prêt à ne plus craindre la mort à présent. Car tu seras vulnérable à absolument tout en cette forme. Cependant, ne prends pas cela comme un cadeau, il n’en est rien. À présent tu souffriras, jour et nuit, obligé de devoir porter ton propre poids pour le restant de tes jours. Tu verras les gens à qui tu tenais mourir devant tes yeux. Les gens d’aujourd’hui, tout comme ceux de demain. Cette forme sera ta pénitence, ainsi qu’une leçon pour les plus insolents de ce monde. Durant ta vie éternelle, tu auras tout le temps de repenser à la gravité de tes actes, et aux conséquences que ceux-ci auront engendrées. Pense-y, pleure si ça peut t’aider, crie si ça peut t’aider, lamente-toi si ça peut t’aider… Rien n’y fera, rien ne pourra corriger tes agissements. Rien.>>
Cet événement s’était passé il y a très exactement 1095238 jours. Je ne me suis jamais stoppé de compter depuis combien de temps je suis dans cette forme. Je n’étais pas le seul à être puni par ce Dieu. Le Peuple d’Oslyria subira une famine des plus mortelles durant plus de deux ans pour avoir été complice de mes “méfaits”. Me tenant pour responsable, et en raison de ma nouvelle apparence, j’ai été banni de mon propre Royaume par mes sujets enragés. Ma femme, la Reine, fut tuée par Ranmar, mon ancien ami, Roi des Dragons, qui me considérait désormais que comme un traître et un abruti fini.
Depuis… J’erre à travers ce vaste monde. Je n’ai rien à faire de mes journées, j’ai n’ai ni besoin de manger, ni besoin de boire. Je ne suis qu’un vagabond, dont tout le monde a oublié la réelle existence. Wilford Lengrim Grimfort Adun Brascrow Lylas Redald Sylrich Pherriss de Fontazur est mort, et Samidas le Damné a pris sa place. Les Légendes racontent que quiconque m’aperçoit, n’obtiendra que malheur et désespoir dans sa vie. Rien ne fonde la véracité de ces “hypothèses”. Mais cela suffit amplement pour éloigner les gens de moi. On me fuit comme la peste, partout où je vais. Certains tentent même de me détruire, de détruire le nouveau corps qui m’est échu, briser cette roche, casser cette pierre, détruire cet amas de granit que je possède. On veut ma mort, ou on ne me veut pas dans les parages. J’ai appris à avoir de la compassion pour tout le monde, malgré ces affronts perpétuels.
Bien que je sois source de peur, certaines personnes ont appris à passer le cap de la crainte, et venir me parler. Oh bah tiens, pour illustrer mes propos, laisse moi te raconter une anecdote…
Alors que j’étais endormi (Car oui j’ai tout de même besoin de sommeil) dans une des nombreuses forêts d’Eridia, je sentis une présence. En ouvrant les yeux, je vis une petite fille à mes pieds, debout, droite dans ses bottes. Elle me fixait avec détermination. Je ne savais pas pourquoi, jusqu’à ce qu’elle me dise : <<Je n’ai pas peur de toi.>>
Ce à quoi je lui rétorqua simplement : <<Euh...bonjour…?>>
- Je n’ai pas peur de toi !
- Euh, oui d’accord, si tu le dis, je te crois ahah !
- Les gens disent que tu es dangereux et méchant ! Mais moi tu me fais même pas peur !
- Oh...Tu sais, les gens ne racontent peut-ĂŞtre que des bĂŞtises.
- Pfff… N’importe quoi. Mon papa il a toujours raison !
- D’accord d’accord. Et donc… Qu’est-ce que tu me veux petite fille ?
- Hein ? Bah, euh j’en sais rien.
C’était la première fois que je discutais avec quelqu’un depuis bien longtemps déjà . Cette petite fille avait eu vent de ma présence, et pour prouver à son père qu’elle avait du courage, elle était venu se confronter à moi en m’affirmant qu’elle n’avait “pas peur de moi”. Notre discussion se prolongea un bon moment. Nous parlions désormais en bons termes, elle avait compris que je n’étais pas aussi affreux qu’on le disait. Ce fut un bon moment que je passais en sa compagnie. On s’appréciait mutuellement, on échangeait sur de nombreux sujets. Et en quelques heures seulement, nous étions devenus les meilleurs amis au monde

Mon bonheur fut de courte durée. À la fin de cette journée emplie de joie avec cette petite fille, alors que le soleil venait tout juste de se coucher, un homme arriva en courant et en sueur près de nous, avec une lampe à huile dans la main.
- ...Lilith ! Que fais-tu avec cette abomination ?!!
- Mais non Papa ! Il faut pas dire ça ! Samidas est très gentil en réalité !
- Ferme-la et reviens ici sale garce ! Je ne veux pas que tu approches cette erreur de la nature !
À ces mots, le père me jettera au visage sa lampe à huile. Le verre recouvrant ladite lampe se brisera en milles morceaux, et l’huile brûlante se répandra instantanément sur ma face de golem. La douleur ? Je ne la sentais point. Mais l’affront et l’humiliation, ça, je le ressentais abondamment. Ce dont je me souviens, c’est d’avoir déposé lentement la petite fille sur la terre ferme. Et ensuite, je m’étais approché du père, par ma taille imposante.
Ma vision se troubla, comme si mes yeux étaient plongés dans une brume noire et opaque. Je ne pouvais plus diriger le moindre de mes membres. J’étais une marionnette consciente en quelques sortes. J’entendis ensuite des échos, des échos de chocs, et de fracas d’os. Ces bruits provenaient de l’action de mon bras gauche qui assénait :
Un coup, deux coups, trois coups, quatre coups, cinq coups, six coups, sept coups, huit coups, neuf coups, dix coups, onze coups, douze coups, treize coups…
Treize coups. Pas un de plus. Une fois la “brume” dissipée, et ma maîtrise totale retrouvée, j’aperçois devant moi le corps du père. “Corps”, c’est bien trop propre pour décrire un tel massacre. Il y avait plutôt une mare de sang étendue sur plusieurs mètres, avec des membres arrachés, des membres écrabouillés, et des membres à la fois arrachés et écrabouillés. Ma main de pierre était pleine de sang, le sang résultant d’un excès de rage que je n’avais pas su contrôler.
À la vue du cadavre de sa figure paternelle, la petite fille, la seule amie que je venais d’avoir, me dévisagea horrifiée. Elle partit à une vitesse effarante. Je venais de tuer un innocent, et cela m’a coûté la fuite et la perte d’un être qui m’était précieux et qui tenait à moi. Cet incident a eu lieu il y a déjà plus d’un millénaire, et je suppose que jamais je ne retrouverais cette fillette, jamais je ne pourrais lui faire mes excuses, jamais.
Depuis ce jour funeste, je me suis juré de ne plus jamais tuer quiconque.
Bien des années plus tard, j’ai pu discuter avec d’autres personnes ayant choisi de passer le cap de la peur pour me parler, et sans encombres cette fois. J’ai eu le droit à des discussions avec des ermites en voyage, des apprentis mages, des seigneurs aux coeurs d’or, mais je ne vais pas non plus te raconter tout sur le peu de gens à qui j’ai parlé.
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’ils m’ont tous reconnu comme étant un individu sage, pur, altruiste, humble, calme et “doux”.
Voilà , tu sais à peu près tout petite bête. Actuellement je continue de me balader sans but précis, espérant faire la rencontre de personnes aux coeurs purs avec qui discuter tranquillement, sans qu’ils aient peur de moi…>>
Le Jagida, une fois mon long monologue terminé, me fixa bouche-bée. Il avait apparemment apprécié ma prise de parole. Un grand sourire s’afficha sur mon visage rocheux, même si cette bestiole ne pouvait point me répondre, j’avais considéré cette altercation comme une discussion sympathique.
J’entendis soudain des bruits de branches se craqueler sous des bruits de pas, tandis que certaines feuilles bougeaient légèrement. Cela ne présageait rien de bon, et mes soupçons se confirment à la vue d’un groupe de quatre elfes. Des elfes braconniers !
Ils étaient venus jusqu'ici, ayant suivi la piste du petit Jagida à l’aide de leur magie de traque. Surpris de me voir en ces lieux, ils restent à l’écart. Le chef du groupe cependant, m’adresse la parole avec une voix agressive et emplie d’une haine particulière :
- << Voyez-vous ça ? Nous voilà en face de Samidas le Damné. Ecoute moi bien tas de cailloux, tu va nous remettre tout de suite ce Jagida, et on te promet qu’il ne te sera fait aucun mal...m’enfin, si mes gars sont sympas avec toi héhé.
- Voyons messieurs, laissez cette pauvre bĂŞte tranquille, elle ne vous a fait aucun mal.
- Ferme-la ! File nous l’animal ou je t’assure que tu va passer un sale quart d’heure.
- Hors de question.>>
Je me lève donc, et la petite créature viendra se mettre sur mon épaule droite, restant bien accrochée, terrifiée par les individus voulant sa capture. Le groupe d’elfes recule, mais le chef lui, ne bouge pas d’un poil, il avance même d’un pas. Avant de prononcer la phrase : <<Ne vient pas déranger nos affaires, grossière erreur de la nature.>>
Oh non, cette brume, elle est de retour, elle m’ordonne de massacrer ces ignorants jusqu’aux derniers. Mon bras part si vite, et envoie valser le chef des braconniers contre un arbre. J’entends seulement les cris d’agonie de la victime, et le bruit de la fuite de ses coéquipiers. Sans que je lui dicte quoique ce soit, mon corps se met en mouvement, et mon bras gauche s’apprête à lui faire subir le même courroux que le père de cette petite fille.
Malheur… Mon poing dévastateur se dirige à grande vitesse vers l’homme déjà bien amoché.
Cependant… Mon audition encore fonctionnelle me permet d’entendre un petit cri. Le cri du Jagida résonne dans mes oreilles. Il s’agit d’un cri qui signifiait pour moi : <<Non ! Arrête ! Tu vas faire la même erreur !>>
Miracle ! Grâce à la petite bête, cette brume noire disparaît de mon esprit, et mon poing se stoppe juste au niveau du visage de l’elfe. Je recule en faisant mes excuses au pauvre homme, qui finira par s’enfuir à son tour, en hurlant de peur.
Grâce au Jagida, j’ai réussi à ne pas tuer un innocent comme je me l’étais jadis promis. Je n’avais plus rien à faire dans ces bois, alors je commençais à partir de l’endroit en question. Je fus subjugué de remarquer que la petite créature restait sur mon épaule, sans s’en échapper. En examinant son sourire, j’arrive à comprendre la phrase : <<Je veux rester avec toi !>>.
Je lui souris en retour, et continue ma route, tentant de conserver mes larmes pour des moments plus convenables. Voilà que je possède à présent un compagnon de route à mes côtés. Je me demande bien quelles autres surprises ma vie éternelle me réserve...
Je lui souris en retour, et continue ma route, tentant de conserver mes larmes pour des moments plus convenables. Voilà que je possède à présent un compagnon de route à mes côtés. Je me demande bien quelles autres surprises ma vie éternelle me réserve...